Le Mossad aurait tenté d’infiltrer le service de contre-espionnage
français dans le cadre de l’opération visant à lutter contre le
programme d’armes chimiques syrien, à partir de 2010.
Dans le monde de l’espionnage, si des services décident d’unir leurs
efforts, cela n’en fait pas pour autant des amis. Rien ne les empêchera
de s’espionner. Jamais. La preuve lors d’une opération qui a réuni, à
partir de 2010, la sécurité intérieure française et le service secret
israélien du Mossad pour lutter contre le programme d’armes chimiques
développé par le régime syrien de Bachar Al-Assad.
L’enquête de sécurité interne diligentée par la Direction centrale du
renseignement intérieur (DCRI, devenue Direction générale de la sécurité
intérieure en 2014) sur la tentative du Mossad d’infiltrer, à cette
occasion, le service de contre-espionnage français illustre ces
pratiques. Lorsque l’opération ayant pour nom de code « Ratafia »
débute, en 2010, c’est encore l’union sacrée pour prendre au piège un
Syrien qui doit effectuer des séjours en France. Il s’agit de l’amener à
livrer des secrets sur le programme d’armes chimiques syrien auquel il
appartient.
Lorsque le Mossad obtient le soutien de plusieurs groupes de la DCRI et
d’agents de la DGSE, tous ses membres agissent sous de faux noms et une
dizaine d’entre eux sont des clandestins à l’exception de D.K., chef de
poste du Mossad à Paris. Selon les accusations de la DCRI, auxquelles Le
Monde a eu accès, le Mossad aurait profité du contact quotidien avec ces
agents français lors des séjours de la cible syrienne pour nouer des
liens jugés suspects.
L’un des agents français a ainsi été vu fêtant le shabbat avec le chef
de poste du Mossad à Paris, il est également parti faire du tir à Dubaï
puis a rejoint, en famille, ses camarades du Mossad à Jérusalem. Une
proximité revenant, selon la DCRI, à franchir la ligne jaune. Des
soupçons portent également sur le versement de sommes d’argent en
espèces et l’existence de cadeaux contraire aux règles internes.
Résultat, plusieurs agents français intégrés dans l’équipe conjointe
avec le Mossad se verront retirer leur habilitation secret défense et
seront mutés dans des services subalternes.
L’enquête interne de la DGSI se garde cependant de rappeler qu’un autre
groupe de la DCRI, chargé de contre-espionnage, s’est arrangé pour
prendre en photo, à leur insu, les agents du Mossad qui travaillaient
avec les Français. Un audit sera, enfin, déclenché sur l’utilisation des
fonds de l’opération « Ratafia » après la découverte de demandes de
remboursement de frais douteux.
Compromission
Cette enquête interne a été évoquée dans le cadre d’une information
judiciaire visant Bernard Squarcini, chef de la sécurité intérieure de
2007 à 2012. Soupçonné d’avoir pu utiliser les moyens d’écoutes de son
service à des fins personnelles, il s’est défendu en indiquant que le
bref placement sur écoute d’un fonctionnaire qui lui est reproché était
destiné à vérifier s’il n’avait pas été, à son tour, « touché » par ce
service étranger. Ce qui se révéla infondé. « Le service de sécurité de
la DCRI m’a informé qu’une entreprise de matériel côtoyait de très près
des personnels ex-RG affectés aux missions de surveillance
opérationnelle et qu’il s’agissait d’une tentative du Mossad ou de gens
considérés comme très proches d’infiltrer le service », a ajouté M.
Squarcini. S’il a évoqué la compromission de policiers de son service,
il n’a, en revanche, pas dit un mot sur l’opération « Ratafia » menée
avec le Mossad.
La DCRI fit part de ses griefs à la hiérarchie du Mossad à Tel-Aviv.
Deux membres de l’ambassade d’Israël à Paris furent priés de quitter la
France, dont D. K. Ils ont quitté le Mossad et se sont reconvertis dans
le privé. M. Squarcini a affirmé qu’il avait, par hasard, rencontré, en
2016, ces deux hommes venus en France pour affaires.
Fin décembre, les juges d’instruction ont émis, à l’attention de
l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), deux commissions
rogatoires pour en savoir plus sur cette affaire. La première sur
l’enquête de contre-espionnage visant le Mossad et les relations
existant entre ce service et la DGSI, la seconde demande aux policiers
d’entendre les deux anciens du Mossad qu’aurait rencontrés M. Squarcini.
LE MONDE | 25.03.2017 à 11h26
Par Jacques Follorou
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